S. Jordan: Chocolats Villars SA (1901–1954)

Titel
Chocolats Villars SA (1901–1954). Le parcours d’une entreprise atypique


Autor(en)
Jordan, Samuel
Erschienen
Fribourg 2001: Université de Fribourg
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Gérard Duc

L’histoire de l’industrie agroalimentaire helvétique reste à faire. Dans cette optique, les monographies d’entreprises sont un premier pas vers une meilleure compréhension du développement de ce secteur. Le travail de Samuel Jordan sur la fabrique de chocolats et de produits alimentaires de Villars SA, de sa fondation en 1901 au départ de l’ancienne équipe dirigeante en 1954, ne s’arrête pas à retracer une trajectoire entrepreneuriale. D’une lecture agréable, l’ouvrage offre également de précieux renseignements sur le fonctionnement du secteur chocolatier suisse, grâce à la consultation des archives de Chocosuisse et des archives de la Convention chocolatière suisse, ses organes faîtiers. Parallèlement, cette étude se propose de réviser en partie le jugement sans concession de l’historiographie fribourgeoise sur l’activité économique du gouvernement conservateur fribourgeois au tournant du siècle. L’installation, en 1901, de la fabrique Villars sur le plateau de Pérolles à Fribourg est l’écho d’une volonté délibérée de Georges Python, l’homme fort du gouvernement cantonal de l’époque, de développer les industries directement associées au secteur agricole (dont l’industrie chocolatière notamment).

L’étude de Samuel Jordan se développe en huit chapitres réunis au sein de trois grandes parties chronologiques. A l’intérieur des chapitres, l’auteur adopte une structure similaire, étudiant successivement les stratégies de vente, de décision, de production et la comptabilité de l’entreprise.

La première partie décrit les débuts de l’entreprise entre 1901 et 1911, sous la forme juridique de la société en commandite. L’auteur centre son analyse sur le fondateur de l’entreprise, le Bernois Wilhelm Kaiser, ses soutiens financiers et ses relations avec les autorités cantonales. Kaiser est issu d’une vieille famille commerçante et son père, avant d’ouvrir en 1872 une maison de commerce à Berne, a fait fortune au Pérou. Hormis la famille Kaiser, Wilhelm obtient le soutien d’une famille originaire de Soleure, les Schwarz, qui rapidement s’éloigneront de la marche de l’entreprise. Disposant de fonds, mais également des réseaux de commercialisation, l’auteur rapproche avec justesse les fondateurs de Villars du modèle des entrepreneurs français décrit par Daniel Henri: «ce furent surtout les dynasties marchandes qui fournirent les gros bataillons de la nouvelle armée industrielle» (p. 38).

En juin 1904, la société en commandite est remplacée par une société anonyme : au noyau des Kaiser sont associés notamment des banquiers, un industriel et un fournisseur. Absent du conseil d’administration, Wilhelm Kaiser est cependant directeur de la fabrique et le restera jusqu’à sa mort en avril 1939. Dès 1901, Villars fait partie de l’Union libre des fabricants de chocolat créee sous l’impulsion de M. Russ-Suchard (de la maison Suchard) et dont l’une des activités principales consiste à réguler le marché intérieur du chocolat. Une convention est ainsi signée entre tous les participants afin de réglementer la concurrence et établir un strict contrôle des prix. Face aux géants chocolatiers, les petites et moyennes entreprises comme Villars doivent se contenter des miettes du marché intérieur. Comme le spécifie Laurent Tissot dans la préface de l’ouvrage, ce type de convention permet aux grandes entreprises, libérées des tensions du marché intérieur, de se concentrer entièrement à la conquête des marchés extérieurs (p. 6). A l’échéance de la convention en 1908, Villars refuse de participer à la nouvelle convention, épisode essentiel puisque il fonde l’esprit de dissidence qui fera une grande partie du fonds de commerce de Villars durant les années suivantes et qui lui vaudra de nombreuses attaques de la part de ses concurrents et de la presse zurichoise (NZZ notamment). Durant ces premières années, si l’entreprise imite ses concurrentes dans la production, elle innove par contre dans la forme (chocolat non emballé) et dans la vente directe sur les marchés de Lausanne et Payerne, s’attirant la colère des détaillants. Face à la puissance de ses grands concurrents, Villars est obligé d’opter pour une stratégie de niches commerciales.

La deuxième partie retrace la consolidation de l’entreprise entre 1911 et 1933, grâce à la mise sur pied d’une stratégie commerciale innovante, consistant à abaisser les prix de vente par l’élimination des intermédiaires et la mise sur pied d’un système de vente directe. Dès 1912, celui-ci s’appuie sur un réseau de succursales ouvertes par l’entreprise et de dépôts constitués de commerces s’engageant à vendre des produits Villars. Si cette stratégie attire l’ire des concurrents et des associations de détaillants, Villars retourne habilement ces attaques à son profit et s’octroie la sympathie de l’Union suisse des sociétés de consommation (USC) séduite par sa politique des bas prix. Au niveau des chiffres, l’entreprise verse en 1911 le premier dividende aux actionnaires. Le Premier Conflit mondial est une période propice aux affaires de l’entreprise, grâce à l’augmentation de la demande, aussi bien au niveau civil que militaire et la diminution de la concurrence étrangère. Les dividendes versés aux actionnaires dépassent annuellement les 10% de leur mise de départ. Après le conflit, l’entreprise augmente son outil de production grâce à ses réserves financières et tente de se lancer à la conquête des marchés étrangers (Hollande et Angleterre). L’échec de cette stratégie ne ralentit pas la croissance du chiffre d’affaire, dopé par le marché intérieur: de nouvelles succursales sont ouvertes et dès le début des années 30, Villars se lance dans la vente de café et de thé. Des signes d’essoufflement commencent cependant à se faire sentir: l’arrêté fédéral du 14 octobre 1933, interdisant notamment l’ouverture et l’agrandissement de maisons à succursales multiples, stoppe brutalement la stratégie commerciale de Villars, alors que dès le début des années 30 déjà, la croissance du chiffre d’affaire ralentit, avant que celui-ci ne recule. L’entreprise continue malgré tout à favoriser ses actionnaires: si en 1926/27, 47% des bénéfices sont distribués sous forme de dividendes, en 1932/33, c’est 70% qui tombe dans l’escarcelle des actionnaires. Plus aucune tentative n’est faite pour gagner des marchés à l’étranger.

La dernière partie s’arrête sur la période 1934–1954. Villars profite une nouvelle fois de la guerre entre 1939 et 1945, grâce notamment à une gestion optimale de ses stocks et à des innovations lui permettant d’économiser des matières premières rares et précieuses comme le sucre ou le cacao. Le retour à la paix et le début des Trente Glorieuses ne sont paradoxalement pas favorables à Villars. Son système commercial montre des signes de faiblesse et l’arrivée de nouveaux concurrents se situant sur le même créneau des classes moyennes (montée en force de la Migros) ne font que s’ajouter au comportement de plus en plus dictatorial de O. Kaiser, le fils du fondateur et au départ de l’ancienne équipe dirigeante. Au milieu des années 1950, le blocage de l’entreprise qui a su profiter de son système de vente, son innovation principale, est devenu évident.

Citation:
Gérard Duc: compte rendu de: Samuel Jordan: Chocolats Villars SA (1901–1954). Le parcours d’une entreprise atypique. Fribourg, Chaire d’histoire contemporaine (Aux sources du temps présent), 2001. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 54 Nr. 4, 2004, p. 351-353.

Redaktion
Veröffentlicht am
03.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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